gilles conan

la place de la lumière
gilles conan mars 07- dec 10

précédemment éclairagiste pour le théâtre et la danse contemporaine, mon axe d’exploration naturel en tant que plasticien est la conséquence et le prolongement de mon centre d’intérêt initial : l’ouvrage de la lumière. lumière, qui non seulement éclaire, mais alimente, voire régit, la scénographie, et structure l’espace et la temporalité d’un spectacle ( donc d’un lieu ).
les mêmes propriétés intrinsèques et esthétiques s’offrent à disposition pour une recherche plastique, mais les potentialités en sont démultipliées.
c’est surtout la dimension temporelle qui, dégagée de son assujettissement au format scénique, s’enrichit de nouvelles possibilités d’écritures cognitives, d’étirements, voire de compositions proches d’une musique pour le regard. j’ai ainsi enrichi mon vocabulaire par ce mouvement, cet attachement au cinétisme qui me permet de poursuivre le malaxage des perceptions, déjà initié en tant qu’éclairagiste, et, ainsi, de dérouler, de déplier une architecture dynamique, souvent hypnotique.
c’est bien souvent le matériau générateur de la lumière, par sa forme propre ou par la particularité de sa luminescence, qui en mettant en action un nombre certain de contraintes techniques astreignantes, ouvre paradoxalement des champs d’expérience où la présence-absence et l’immatérialité prégnante de la lumière peuvent s’exprimer.
les exigences d’un cahier des charges ou, plus largement, d’un lieu, d’un site ou d’un environnement désorientent également ma démarche vers des éventualités que je n’aurais souvent pas abordées de prime abord. c’est le cas, par exemple, pour le projet du lycée charles de gaulle de muret : le manque de visibilité du bâtiment vers la ville et la nature du tissu urbain attenant m’ont poussé à proposer une implantation certes insolite ( dessous de passerelle ) mais, surtout, une utilisation de la lumière diurne normalement inadéquate, recréant une portion de nuit en plein jour par le biais d’une installation à la fois en symbiose ( alimentation panneaux solaires … ) et en lutte avec son environnement ( visibilité variable en fonction de l’ensoleillement ).
là, comme souvent pour mes œuvres ‘allumées’, une dose d’aléatoire est introduite au magma d’ensemble, pour en saper le systématisme, repousser l'intentionnalité parfois trop prédominante du beau à sa portion congrue, se dégager du geste de l’artiste démiurge et favoriser l’éclosion des inconnues.
je joue fréquemment de cet apport combinatoire aléatoire pour marquer l’opposition ambivalente entre le matériel électronique de plus en plus informatisé, numérisé, nécessaire à la mise en œuvre d'une installation lumière et le résultat théoriquement mécanique, mais au demeurant à l’aspect assez organique, obtenu in fine.
ce fourmillement circonstanciel campe également une mise à la marge d’une cristallisation souveraine, souvent sclérosée mais parfois nécessaire.
l’aléa, en introduisant l’éphémère et le mouvement, renvoie à la nature même du vivant dont l’art ne peut se distancier qu’au risque du dessèchement voire de la momification.
dans le même ordre d’idée, j’ai souvent utilisé des sources lumineuses ( analogiques et/ou numériques ) suggérant une mythologie de la luciole et du quantum, ce qui ancre de façon récurrente le cycle de la vie dans mes travaux.
je conçois la lumière comme une ouverture critique et phénoménologique au monde. je tente d’y entremêler concepts, percepts et affects ( cf gilles d. ).
je me laisse le droit en permanence à la divagation, à l'expérimentation et à la réflexion afin de privilégier la force de l'idée et ne pas me restreindre à une démarche plastique autoréinitialisée et incarcérante.
en résonance avec l’emblème de la luciole, le paradoxe des processes industriels globalement inappropriés utilisés pour la production actuelle de lumière et la problématique de la lumière urbaine se révèlent en filigrane ou en plein jour. ces attaches au vivant m’engagent également à une recherche de cohérence maximale dans la démarche et les moyens techniques employés, et m'inclinent à les rendre doublement concrets : dans leur mise en oeuvre et dans leur visibilité comme vocabulaire de l'oeuvre.
mes desseins s’orientent en conséquence ( et de façon accentuée depuis 2008 ) sur le cheminement de la réduction ( énergétique, luminance, extinction, inversion, production renouvelable, compensation, surcompensation, sous-alimentation, récupération, recyclage, œuvres éteintes, panneaux solaires, etc… ) qui s’articulent dans les termes autour des notions de travail ‘préservatif’ ( figure personnelle en remplacement d’écologie ou de ‘développement durable’ servis trop souvent à toutes les sauces dans de mauvais restaurants).
la place et la sacralisation de la lumière dans l’art contemporain ( syndrome de l’œuvre en néon ) mais aussi dans la ‘société du spectacle’ ( cf guy d. / syndrome de la ville-musée ou eurodisneyisée ) est dans le même temps interpellée plus particulièrement par des œuvres de ‘lumière négative’ ( photovoltaïque ) en miroir ou la série des œuvres now ( pour no watt / reliques de matériaux industriels ou domestiques non électrifiés ) où ‘la marge tient la page’ ( cf jean-luc g. ).


gilles conan on/off
jérôme dupeyrat _ nov 2009

la lumière, matériau principal des œuvres de gilles conan, occupe une place particulière dans le champ de l’art. c’est son absorption qui détermine les couleurs, peindre implique souvent de la représenter ou de la faire apparaître à la surface de la toile, son enregistrement est au fondement de la photographie, du cinéma et de la vidéo, et elle est par ailleurs un élément essentiel pour la création architecturale. tant et si bien que la lumière relève en quelque sorte de l’évidence. comme le temps ou l’espace, elle fait partie de ces choses que l’on connaît tous parfaitement par l’expérience sans être bien capable de les définir pour autant. travailler ( avec ) la lumière ainsi que le fait gilles conan, c’est alors prendre à bras le corps cette évidence pour montrer qu’elle n’en est pas une ; en faire l’objet même de la création, en avançant en équilibriste le long d’une ligne qui départage le banal du spectaculaire.
les œuvres qui résultent de cette démarche manifestent tout d’abord les propriétés plastiques des flux lumineux et des dispositifs techniques permettant leur production : projecteurs, ampoules à incandescence ou halogènes, leds, etc …
ainsi, pour la série des autoportraits ( 2002-2009 ), des projecteurs de théâtre sont modifiés de sorte à projeter l’image de l’ampoule qui produit la lumière nécessaire à la projection. le rendu plastique repose sur une autoréférentialité souvent sous-jacente dans le travail du plasticien, sous la forme de la tautologie ou de la mise en abîme.
dispersion ( kunsthaus bregenz, 2006 ) relevait de l’installation lumineuse inspirée de la dynamique aléatoire des vers luisants, qui s’étendit sur les façades extérieures d’un musée au cœur de l’espace urbain. cette façon de rythmer l’espace par la lumière, à l’aide d’outils de programmation informatique, est aussi à l’œuvre dans carousel 154 ( 2009 ) et rollin’ ( what goes up must come down ) ( 2010 ), deux œuvres qui prennent la forme d’une spinning wheel dont la rotation se produit non sur un écran, mais dans un lieu d’exposition et dans l’espace public. souvent, ces œuvres jouent d’une logique duelle : allumage/extinction, pulsation/réflexion, émission/réception, analogique/numérique, aléatoire/obligatoire. dans tous les cas, le traitement de la lumière qui leur est propre mène à redéfinir notre perception de l’espace, en engageant non seulement la vue mais aussi parfois l’ouïe ou le toucher.
aujourd’hui, la place de la lumière dans la démarche tend vers un élargissement conceptuel. ce n’est plus seulement sa production, mais aussi sa captation qui l’intéresse. à cet égard, les propriétés plastiques des nouvelles générations de panneaux solaires constituent une piste de travail. proche d’une esthétique minimaliste, la surface des panneaux solaires est de plus réfléchissante : non seulement ces objets permettent de produire de l’énergie, mais de plus, tels des miroirs, ils réfléchissent la lumière qu’ils absorbent. plus encore, c’est même vers l’extinction lumineuse que le travail de l’artiste pourrait s’orienter, un processus déjà à l’œuvre dans la conception de dispersion et de rollin’, œuvres qui occasionnent l’extinction des éclairages publics situés à leur proximité. ici, ce n’est plus d’allumage et d’éclairage dont il est question, mais plutôt d’une mise en veille. c’est donc un usage inversé de la lumière qui se profile dans le travail de gilles conan. celle-ci est alors envisagée non plus seulement comme un matériau, mais aussi à travers les actions et les dispositifs qui suggèrent son existence, quant bien même cela serait-il en en prenant le contre-pied. c’est que la lumière se manifeste en réalité à deux niveaux dans le travail de l’artiste : de manière concrète, mais aussi de façon symbolique. cette dichotomie est par exemple à l’œuvre dans une commande publique que l’artiste a réalisé à roubaix en 2008 ( école nationale de protection judiciaire de la jeunesse ). au cinétisme des 77 lignes lumineuses horizontales et parallèles disposées sur un mur à l’entrée du bâtiment ( fading jenny 0-100 ) répond le statisme des panneaux photovoltaïques ( mur de pv ) qui les ‘compensent’ électriquement. visibles sur le toit du bâtiment, ceux-ci constituent une sculpture qui capte la lumière naturelle tout en évoquant formellement les baies obstruées de l’ancienne filature qu’était ce lieu à l’origine. l’ensemble de ce dispositif produit donc de la lumière autant qu’il en retient, et met ainsi en œuvre une symbolique du naturel et de l’artificiel, de l’ouverture et de la privation.    
on notera que la perception de toutes ces œuvres est étroitement liée aux contextes dans lesquels elles se donnent à voir et avec lesquels elles interagissent. c’est pour cette raison peut-être, parce que la lumière implique toujours une dimension environnementale au sens littéral, que gilles conan s’intéresse aussi à sa dimension environnementale au sens ‘préservatif’.
car conjointement, c’est effectivement avec un tel soucis que l’artiste conçoit ses réalisations, tenant compte non seulement de leur consommation énergétique immédiate, mais aussi de leur processus de production et de leur devenir au-delà du temps de visibilité publique. équipements à faible consommation, compensations, surcompensations ou extinctions énergétiques (parfois différées), choix raisonné des matériaux, recyclage d’une œuvre à l’autre, permettent ainsi de concilier ces pratiques lumineuses et les exigences écologiques de notre époque – des exigences impliquant des réponses et des conséquences souvent plus complexes que ne le laisse croire l’éco-marketing ambiant.
aux yeux de gilles conan, il ne s’agit là que d’un comportement rationnel et nécessaire. ce pragmatisme, qui sous-tend néanmoins une pensée économique et politique, et les recherches esthétiques déjà évoquées, ne constituent pas deux dimensions parallèles – l’une qui concernerait sa conscience citoyenne, l’autre qui caractériserait sa pratique plastique.
au contraire, il s’agit d’éléments qui interfèrent les uns entre les autres pour produire une démarche artistique globale. c’est là la spécificité du travail de gilles conan.